Plan large au plus près.

Simon Couvin file et défilent les cheveux. En tresses. En boucles. Les images, photogrammes, ou « impressions si légères en photographie », moins nettes, moins témoin,  proposent au regard, par leurs transparences hors cadre, une sorte de plongée vers le plus lointain. Sans se détacher du rivage. Sans étourdissement. Sans perte.

On pourrait y voir et entendre une ritournelle deleuzienne, revenant inlassablement nous entrainer tout au long des travaux du photographe artiste ou de l’artiste photographe. Même espace toujours un rien au-delà de la réalité visible, sinon entrainante, ouvrante, proposante… Et à nouveau Gilles Deleuze énonçant qu’il fallait parler chat avec les chats… Comme les enfants Simon Couvin invite à se« déterritorialiser ». Chevelure coussin, chevelure écharpe, douce chevelure…lumière voilée, dévoilée…main qui chemine dans nos cheveux, mèche liée entre deux linges…serait-ce un labyrinthe ? une échappée dans l’espace, une grande lunette, un microscope ? Qu’en sera-t-il des tirages pilaires lorsque nous les reverrons ? Qu’en sera-t-il de nous ?

Plan large au plus près ; cela sonne un peu comme une technique en photographie.Le travail serait d’aller au plus près de la matière, supposant que la vue emprunte les chemins serpentant de la mémoire, toujours vive, toujours mouvante. A nous approcher de la matière vivante et détachée nous devenons chercheur. A chercher nous songeons et rappelons des images enfouies. Comme Proust nous savons que la gorgée suivante effacera la clarté de la précédente.Comme Deleuze nous serons toujours en quête de l’antépénultième, du verre avant le dernier, pour la route. Comme Hardellet, au «  seuil du jardin ». Auprès de Simon Couvin il reste la caresse des cheveux…

Les derniers travaux se mêlent et se reprennent tels leurs objets. Se baisser,ramasser des cheveux, en faire courrier et correspondance, les exposer, les coudre, les peigner, les mettre en cloche,… Et les regarder, s’y étonner, un peu d’arrêt, une poétique que l’on pourrait voir peut-être pousser si on s’y laissait prendre. A y regarder de plus près, tel qu’il nous y invite, le propos, sa matière première, son support, son traitement, déroule une durée d’instantanés. Parsemés ou fournis, détachés, clochés ou sous cloche, le regard essaie de capter de l’un à l’autre des cheveux un mouvement d’ensemble. Trop tard. Les yeux se sont laissés prendre et happent le spectateur, le passant. Défait, la relation à l’œuvre est de nature esthétique mais créatrice à supposer que la création laisse les sens, en l’occurrence la vue par le canal de l’œil,voir, entendre, sentir, gouter, toucher. C’est cette surprise, cet étonnement, seuls qui nous invitent à partager ces travaux. La réflexion suivant.

Pourrait-on y trouver une entrée, un passage, un chant vers ce qu’il reste de nous quand rien ne demeure ? Simon Couvin interroge la matière à la manière d’un photographe : il nous propose la lumière.

Caroline Escoubet


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